Le Rwanda se prépare à commémorer les trente ans du génocide des Tutsis

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Kigali s'affaire aux derniers préparatifs avant la cérémonie donnant le début, ce 6 avril, des commémorations du 30e anniversaire du génocide qui doivent durer cent jours.

Plusieurs dizaines de délégations officielles sont attendues aux côtés du président Paul Kagame ce matin, pour allumer la flamme du mémorial national de Gisozi où sont enterrés près de 250 000 victimes du génocide perpétrés contre les Tutsis. Une flamme symbolique qui marque le lancement de ce 30e anniversaire et d’une journée entière consacrée au deuil et au recueillement.

Cérémonie et discours officiels, du gouvernement et du chef d’État rwandais au stade BK Arena dans la matinée, grande marche du souvenir dans l’après-midi, de retour après quatre ans de commémorations réduites pendant le Covid-19. Dans la soirée, une veillée, en hommage aux plus de 800 000 tutsis tuées d’avril à juin 1994.

De nombreux chefs d'État

Ce 6 avril marquera le démarrage d’une période de près de 100 jours de commémorations, ponctués par d’autres cérémonies aux dates anniversaires des différents massacres perpétrés pendant les trois mois de génocide. 

Parmi les dirigeants attendus en nombre, le continent africain est largement représenté puisqu'au moins sept chefs d'État et de gouvernement sont déjà arrivés. Parmi eux, le Congolais Denis Sassou-Nguesso et le Sud-Africain Cyril Ramaphosa, ainsi que des représentants des institutions régionales, le chef d'État mauritanien Mohamed ould Ghazouani pour l'Union africaine et le Sud-Soudanais Salvaa Kiir pour la Communauté d'Afrique de l'Est. Aucune délégation n'est en revanche attendue du côté de Kinshasa, en raison du contexte très tendu avec Kigali lié à la crise dans l'est de la RDC.

En dehors du continent, l'ancien président américain Bill Clinton, en fonction en 1994, sera à la tête de la délégation des États-Unis. Son administration avait pendant longtemps refusé d'employer le terme de « génocide ». En visite à Kigali, quatre ans après les faits en 1998, il avait exprimé ses regrets sur l'aveuglement de la communauté internationale.

Deux jours après la déclaration de l'Élysée estimant que la France et ses alliés auraient pu « arrêter le génocide » mais n'en n'ont « pas eu la volonté », le ministre des Affaires étrangères Stéphane Séjourné a rencontré son homologue rwandais Vincent Biruta ce samedi soir. Dans une courte déclaration, le chef de la diplomatie française a affirmé à ses côtés « vouloir témoigner de la confiance et de l'amitié retrouvée entre les deux pays ». « La réconciliation est un long voyage qui demande une introspection profonde et sincère de la part des uns et des autres »et« demande à poser des mots sur nos responsabilités », a-t-il déclaré. 

Après leur entretien, les ministres ont signé deux accords bilatéraux : un sur les services aériens entre les deux pays et l'autre une déclaration d'engagement de 400 millions d'euros pour le Rwanda au cours des cinq prochaines années dédiés au secteur de la santé, de la formation et de l'environnement.

La génération post-génocide se prépare aussi

En 1994, entre 800 000 et un million de Tutsis et Hutus modérés étaient tués en moins de cent jours dans le dernier génocide du 20e siècle. Aujourd’hui, trois décennies plus tard, près de 65% de la population a moins de 30 ans. Nés après le génocide, certains jeunes s’engagent dans les préparatifs des commémorations, comme au mémorial de Musanzé, dans la province nord du pays.

Une chemise, une robe déchirée, un pantalon. Entourée d’une dizaine d’autres jeunes étudiants, Mireille Ingabire, 20 ans, sort un par un des vêtements entassés dans de grands sacs. « Nous sommes en train de trier les vêtements des personnes qui ont été tuées ici, au mémorial. Je vois ainsi moi-même l’horreur à travers ces habits des victimes du génocide… Je vois qu’il y a des jeunes qui avaient mon âge, des adultes, des enfants qui ont péri pendant le génocide », dit-elle.

Au total, plus de 800 personnes ont été tuées dans cette ancienne cour d’appel de la ville de Musanze. Pelles à la main, les jeunes creusent la terre devant ce tout nouveau mémorial, pour y installer des plantes avant la période de commémorations. Parmi eux, Steven Gisa, 23 ans, enfant de rescapée. « Le génocide a emporté beaucoup de membres de ma famille, explique-t-elle. Je n’ai ni tante, ni oncle, ni grand-parent. Quand les jeunes de mon âge partent en vacances chez leurs tantes ou leurs grands-parents, je me demande pourquoi moi je ne peux pas. Mais c’est l’histoire qui a fait que je me retrouve dans cette situation. Il faut l’accepter, c’est comme ça. »

Pour le jeune étudiant, 30 après et avec le vieillissement de ceux qui ont vécu le génocide, c’est désormais au tour de sa génération de prendre le relai, dans le travail de mémoire et de transmission.

Le délicat devoir de transmission par la parole

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  • C'est justement ce que la psychothérapeute Émilienne Mukansoro tente de faire dans son village de Mushubati, sur les hauteurs du lac Kivu. Elle accompagne de nombreux groupes, de femmes, de jeunes, rescapés ou non, notamment sur les questions de mémoire et de transmission entre générations. Une transmission difficile pour les générations qui ont vécu le génocide.

    Dans sa salle d’ateliers, en bas de sa maison familiale, Leoncie, rescapée de 65 ans, se questionne sur le silence qu’elle a longtemps gardé auprès de ses enfants et petits-enfants : « Ce qui nous a poussé à ne pas raconter notre histoire à nos enfants, c’est parce qu’on était blessé par les traumatismes du génocide. Mais j’ai réalisé que nous les plus âgés, on a échoué avec nos enfants, avec nos petits-enfants, on a échoué. »

    Se taire pour protéger de la vérité les plus jeunes, une stratégie que la psychothérapeute Émilienne Mukansoro a souvent observé. « Mais le silence n'empêche pas la transmission, il n'empêche pas que les jeunes absorbent des choses. »

    Un silence parfois brisé par des jeunes qui cherchent à connaître leur passé, à l’écoute des conversations derrière les portes, les fenêtres, pour récolter des bribes de vérité sur l’histoire de leur famille. Une vérité nécessaire à raconter pour Émilienne. « Les enfants et les jeunes ont besoin de poser des questions à leurs aînés, et ceux-ci ont le devoir de répondre, de ne pas les laisser dans quelque chose d'abstrait. Et je me dis que c'est là où les jeunes tireront la force de continuer leur vie. »

    Avec RFI

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