CPI : Theodor Meron, un rescapé de l’holocauste «antisémite» ?

Des mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu, son ex-ministre de la Défense Yoav Gallant et le chef de la branche armée du Hamas Mohammed Deif pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité ont été émis le 21 novembre par la Cour pénale internationale (CPI). Un homme retient l’attention parmi les experts retenus par le procureur de la CPI : Theodor Meron, un survivant des camps de concentration. 

« Le groupe d’experts approuve à l’unanimité la conclusion du procureur selon laquelle il existe des motifs raisonnables de croire que trois des plus hauts dirigeants du Hamas, Yahya Sinwar, Mohammed Deif et Ismaïl Haniyeh, ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité pour le meurtre de centaines de civils, la prise d’au moins 245 otages et les actes de violence sexuelle commis à l’encontre d’otages israéliens. Le groupe d’experts convient à l’unanimité que les preuves présentées par le procureur fournissent des motifs raisonnables de croire que Netanyahu et le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Il s’agit notamment du crime de guerre consistant à affamer intentionnellement des civils comme méthode de guerre, ainsi que du meurtre et de la persécution de Palestiniens en tant que crimes contre l’humanité. »  

Le 20 mai 2024, dans une tribune publiée dans le Financial Times, les six experts en droit international convoqués par le procureur de la Cour pénale internationale Karim Khan, affirment le soutenir dans sa requête : il réclame des mandats d'arrêt contre des dirigeants israéliens et du mouvement islamiste palestinien Hamas. « Sur la base des éléments de preuve recueillis et examinés par mon bureau, j'ai des motifs raisonnables de croire que Benyamin Netanyahu, le Premier ministre d'Israël, et Yoav Gallant, le ministre de la Défense d'Israël, portent la responsabilité pénale de crimes de guerre et crimes contre humanité commis sur le territoire de l'État de Palestine (dans la bande de Gaza) à partir du 8 octobre 2023 au moins », annonce un communiqué la CPI, qui siège à La Haye.  

La seconde étape est franchie ce 21 novembre : la chambre préliminaire de la Cour pénale internationale émet des mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien, son ancien ministre de la Défense et contre le dirigeant de la branche armée du Hamas Mohammed Deif.  

Pour aboutir à cette annonce, le bureau du procureur général avait ainsi missionné en janvier 2024 un panel de six experts juridiques indépendants pour vérifier si les éléments de preuve recueillis étaient suffisamment solides pour soutenir l'accusation. Leur rapport avait été publié en marge de l'annonce par le procureur de la demande d'émission des mandats d'arrêts.  

« L'homme qui a essayé de sauver Israël de lui-même »

Parmi ces experts de la CPI, un homme au profil historique, Theodor Meron, nommé par le procureur Khan conseiller spécial pour le droit international humanitaire. Un survivant de la Shoah. Né dans une famille juive en avril 1930 à Kalisz en Pologne, Theodor Meron n’a que 9 ans quand il est déporté en camp de concentration. Il en sortira en 1945, après la guerre, tandis que sa famille est décimée. Il se réfugie en Palestine sous mandat britannique où il est adopté par une tante et un oncle.   

Empreint d’un passé d’une violence inouïe et d’un traumatisme palpable, il décide de consacrer ses études au droit, à l’université hébraïque de Jérusalem, puis à Harvard et Cambridge.   

Il devient conseiller juridique pour le ministère israélien des Affaires étrangères. À cette époque, en 1967, année de la guerre des Six-Jours, il rédige un mémorandum, secret, mais rendu public depuis, dans lequel il conclut que l’installation de nouvelles colonies dans les territoires occupés constituent une violation de la IVe Convention de Genève. Des recommandations qui seront ignorées par Israël. Theodor Meron se consacre aussi à la question des réfugiés palestiniens de 1948, mais la Première ministre israélienne d’alors, Golda Meir, lui demande de cesser ses travaux sur le sujet. Avocat, et diplomate, il officie aussi en tant qu’ambassadeur d’Israël au Canada et représentant permanent auprès de l’ONU. Foreign Policy le surnomme « l'homme qui a essayé de sauver Israël de lui-même ». 

Mais le juge Meron est accusé par certains d’avoir été un « sujet impliqué », selon la théorie de Michael Rothberg, titulaire de la chaire d’études sur l’Holocauste à l’université de Californie à Los Angeles : comment lutter contre les colonies israéliennes et se battre pour trouver une issue à la question des réfugiés palestiniens quand on a soi-même servi Israël ? Un pays auquel il se dédiera sous diverses formes jusqu’en 1976 avant d’émigrer aux États-Unis en 1978. Il en deviendra citoyen.  

Prévenir toutes les formes de génocide   

Il revêt la robe de juge au début des années 1980. À partir de 1998, il participe à la rédaction des statuts de la CPI et se consacre particulièrement aux crimes de guerre et crimes contre l’humanité, un travail essentiel dans la mise en place des tribunaux spéciaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda. Il effectue sept mandats en qualité de président des TPI ad hoc de l’ONU chargés de juger les crimes de guerre et il devient membre de l’Institut de droit international.

Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie sera le premier tribunal pénal international à être créé depuis celui de Nuremberg. Dans les années suivantes, plusieurs autres cours et tribunaux pénaux internationaux et hybrides (nationaux et internationaux) sont créés pour juger les personnes accusées de crimes commis pendant le génocide rwandais de 1994, le conflit en Sierra Leone et le régime des Khmers rouges au Cambodge, ainsi que la première Cour pénale internationale permanente au monde. 

« Si la révolution des droits de l’homme et l’humanisation du droit de la guerre ont marqué le premier moment véritablement transformateur du droit international de mon vivant, le deuxième moment de ce genre a eu lieu avec la création (...) du TPIY », explique Theodor Meron dans un entretien à International Revew of the Red Cross en novembre 2022. « Le deuxième changement radical du droit international, qui se reflète dans la création et le fonctionnement de ces tribunaux, ne tient pas tant à l’importance accordée aux droits des individus qu’à la responsabilité individuelle. »

À 91 ans, celui qui a contribué à jeter les bases des tribunaux pénaux internationaux et a supervisé les premiers procès pour génocide au monde estime qu’il est temps pour lui de mettre un terme à sa carrière. C'était sans compter qu'il sera de nouveau sollicité en tant que figure de proue du droit international humanitaire, des droits de l’homme et du droit pénal international, et de professeur invité à la faculté de droit d’Oxford et professeur émérite à la New York University Law. Son CV est titanesque. 

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    En 2022, il est nommé, et accepte le poste de conseiller spécial en droit international humanitaire auprès du procureur de la Cour pénale internationale. Et cette année 2024, Theodor Meron intègre le groupe d'experts recommandant au procureur en chef de la CPI d'émettre des mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu, le ministre de la Défense Yoav Gallant et trois dirigeants du Hamas.  

    « J'ai pensé qu'après avoir été juge pendant 20 ans [...] dans des tribunaux de l'ONU chargés de juger les crimes de guerre, je devais respecter mes principes, même si je n'avais pas choisi cette mission. Une fois qu'on me l'a proposé, que j'ai été approché par le procureur en chef, j'ai senti que, éthiquement et moralement, je devais dire oui », confie-t-il au mensuel britannique Prospect Magazine.

    Marqué par une partie de sa terrible enfance en camp de concentration et par l’Holocauste, Theodor Meron, membre honoraire du Trinity College, professeur invité au Mansfield College et professeur des Universités associé au Bonavero Human Rights Institute d’Oxford, estime que le génocide est un drame pour l’humanité tout entière, et pas seulement pour le peuple juif. Son expérience du drame a été durant toute sa carrière un fil directeur. 

    Alors président du Mécanisme pour les Tribunaux pénaux internationaux (MTPI) en 2016, Theodor Meron rend hommage lors de la commémoration des événements de Srebrenica à ceux qui ont tant fait pour préserver la mémoire du génocide et à leurs efforts pour « faire entendre leur voix contre l’indifférence et le déni, et pour que les générations futures tirent les leçons de notre terrible passé et ne le laissent jamais se répéter ».   

    À bientôt 95 ans, Theodor Meron, compagnon de l’Ordre britannique Saint-Michel et Saint-Georges pour services rendus à la justice pénale et au droit international humanitaire, multihonoré pour sa carrière (dont officier de la Légion d’honneur en France en 2007 et Grand Officier de l’ordre national du Mérite de la République française en 2013) poursuit son combat. « Mon objectif était d’explorer comment protéger la dignité humaine et les mauvais traitements », écrit-il dans le New York Times en 2004.

    « Bien que ma carrière ait suivi un chemin détourné, le thème constant a été une tentative d’affronter le chaos et la douleur de la guerre », raconte-t-il dans ses mémoires. Le juge Theodor Meron n'a eu de cesse d'entretenir l’espoir que « ni nous ni nos enfants ne seront victimes ou, pire encore, auteurs d’un génocide », alors même que se déroule actuellement sous ses yeux de combattant de la justice et du respect du droit ce qui s’apparente de plus en plus à un génocide selon les propres termes de la CPI.

    Avec RFI 

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